En-tête

Plaisir partagé compte double

Texte

Benita Vogel

Paru

13.12.2021

Hedy Zinke und Mario Corti bei einem Spaziergang

Mario Corti et Hedy Zinke se font mutuellement don d’un peu de temps: chaque semaine, le jeune homme de 27 ans rend effectivement visite à la dame de 86 printemps. Ils mangent ensemble, partent en balade ou font de menues réparations. Elle a retrouvé sa joie de vivre, et lui vit plus intensément dans l’ici et maintenant.

Ding dong! La sonnette résonne à travers l’appartement. Hedy Zinke quitte péniblement son canapé et se précipite à la porte. C’est l’heure où la pénombre commence doucement à envahir son salon. Sur la commode, de vives lumières dardent leurs rayons dans la pièce. «Ouah, tu as sorti les décorations de Noël!» s’exclame son invité en franchissant la porte du salon. Il est vêtu d’une veste, d’une paire de jeans et de baskets Converse uniformément noirs.

Hedy Zinke a retrouvé le sourire

Mario Corti fait un tour complet dans la pièce. Son regard flotte sur une crèche et une guirlande lumineuse composée de bonshommes de neige avant de finalement se poser sur une église de couleur blanche. Ses fenêtres sont éclairées dans les tons orange, rouge et jaune. «Je n’avais encore jamais vu de décoration en forme d’église», confie-t-il à la maîtresse de maison. Les yeux de la vieille dame se mettent à briller. «J’adore la période de l’avent. C’est un moment où les gens vont à la rencontre les uns des autres. Dehors sur la terrasse, j’ai décoré deux arbrisseaux. Les lumières se déclenchent à 6 heures. Tu pourras alors aussi voir les ours», lui annonce-t-elle dans un grand sourire.

Ce sourire, Hedy Zinke ne l’a retrouvé qu’il y a quelques mois. Au printemps dernier, elle a eu un accident qui a tout bouleversé. Il lui a alors fallu arrêter le tennis, se séparer de son chien Chambo et laisser sa voiture. «J’ai très mal vécu cette période. J’ai perdu des amis, mon fidèle compagnon et une partie de ma liberté.» Le pire, raconte-t-elle, c’étaient les week-ends. «J’avais peur de me retrouver seule.» La vieille dame reçoit certes souvent la visite de sa fille, de ses petits-enfants et même de ses arrière-petits-enfants. «Mais ils vivent dans la région de Bienne», raconte cette Lucernoise. C’est pour cette raison, explique-t-elle, que sa fille l’a encouragée à s’inscrire à Zeitgut.

La coopérative de Lucerne réunit des gens afin qu’ils fassent un bout de chemin ensemble. Les personnes qui donnent de leur temps – pour la plupart des femmes -arrivées à l’âge de la retraite – apportent à des hommes et des femmes majoritairement âgé-es de 70 à 95 ans une aide qui consiste souvent à effectuer des achats, à faire la lecture, à sortir en promenade ou simplement à tendre une oreille attentive.

Réseau de solidarité

Le concept d’«aide de voisinage avec crédit-temps» connaît un succès grandissant en Suisse. À ce jour, on compte déjà 13 associations et coopératives Zeitgut. Celles-ci appartiennent au réseau Nachbarschaftshilfe Schweiz (Aide de voisinage Suisse), qui bénéficie du soutien du Pour-cent culturel Migros.

Depuis la création de la coopérative de Lucerne il y a neuf ans, ses 590 membres ont passé ensemble quelque 33 000 heures, soit près de trois années au total.

Plus d’infos:  Zeitgut Luzern und  Nachbarschaftshilfe Schweiz

Une sorte d’«AVS de l’accompagnement»

Les personnes qui donnent de leur temps voient leurs heures créditées sur un compte temps. Les seniors n’ayant pas eu la possibilité d’accumuler des heures en reçoivent un certain nombre en cadeau. «Nous sommes une sorte d’AVS de l’accompagnement», explique Regula Schärli, qui a cofondé Zeitgut il y a neuf ans. La pandémie de Covid a dopé l’activité de cet organisme d’aide au voisinage. «Et pas seulement parce que nombre de personnes âgées se sont retrouvées livrées à elles-mêmes», précise-t-elle. Car pour elle, la pandémie a aussi provoqué un changement des mentalités: «Accepter l’aide d’autrui est devenu moins tabou.» Ainsi, Zeitgut Luzern compte aujourd’hui près de 240 tandems – comme on appelle les duos ainsi formés –, soit plus du double d’il y a encore deux ans (voir encadré).

Boucher des trous et manger du dessert

Depuis cet été, Hedy Zinke et Mario Corti forment eux aussi un tel «tandem». Ils se retrouvent une fois par semaine durant à peu près une heure – comme le prévoit le contrat. En vue de la visite d’aujourd’hui, la Lucernoise a posé un casque audio sur la table. «Il continue à s’allumer, mais plus aucun son ne sort», explique-t-elle. Mario fait glisser le bouton on/off dans un sens et dans l’autre. «Et si on changeait les piles?», suggère le jeune homme. «Encore? Quelle taille te faut-il?», répond la vieille dame en ouvrant le tiroir de la commode. «J’ai une mission technique à lui confier toutes les semaines», explique-t-elle. «Mais Mario a aussi déjà rebouché des trous dans mes murs et récemment, il m’a invitée à prendre le dessert chez lui.» Tous deux vont souvent se promener ensemble, ou bien s’asseyent sur le balcon, plantent des fleurs et surtout: discutent.

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Chaque semaine une mission technique: aujourd’hui, Mario change des piles.

Mario m’écoute. Cela me fait un bien incroyable et m’a aidée à traverser une période difficile.

Hedy Zinke

«Après notre première conversation, j’ai pensé: mon Dieu, un si jeune homme, et moi qui suis une vieille dame!» Et puis finalement, elle a continué à parler. C’est une chose qu’elle dit ne jamais faire sinon. «Mais Seigneur, qu’est-ce que j’ai pu raconter comme histoires – des bouts de ma vie qui me sont revenus à l’esprit.» Des récits sur son enfance pendant la Seconde guerre mondiale, sur son travail d’horlogère, d’aubergiste et d’accompagnatrice de personnes réfugiées, mais aussi sur l’accident et sur les moments difficiles qui ont suivi. Elle précise qu’elle parle aussi de toutes ces choses avec sa fille. «Mais Mario n’a pas d’a priori. Il est resté tranquillement assis et s’est contenté d’écouter. Cela m’a fait un bien incroyable.» Hedy s’est déjà demandé si lui aussi retirait quelque chose de ces moments. «Après notre première rencontre, j’ai pensé: c’est sûr, il ne reviendra pas.»

Un intéressant témoin de l’histoire

Mais Mario Corti est revenu. «J’ai remarqué que cela faisait du bien à Hedy de parler.» Avec le temps, il a commencé à poser des questions, lui demandant par exemple ce qu’elle ferait différemment dans la vie si elle pouvait tout recommencer. «Tu as des choses à m’apprendre. Tu es la plus âgée de mes amis, dit-il à Hedy Zinke. Ça me permet de bien mieux comprendre cette génération si éloignée de la mienne.» Il n’a pas envie de faire étalage de son engagement auprès de Zeitgut. Hormis sa petite amie, il n’a mis personne au courant: «Je le fais pour moi.» Il pense que ses amis ne comprendraient pas forcément tous sa démarche.

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Chaque semaine, Hedy Zinke et Mario Corti passent une heure ensemble, qu’ils consacrent par exemple à se promener.

Je comprends bien mieux cette génération si éloignée de la mienne.

Mario Corti

Heureux et reconnaissant

Le jeune homme de 27 ans, qui occupe une fonction de cadre dans le bâtiment, a un quotidien très chargé. «Dans mon métier, il n’est question que d’argent et d’échéances à tenir.» Malgré son jeune âge, il a déjà une belle carrière à son actif. «Mais cela ne suffisait pas à me combler tout à fait.» Et même si quelquefois, en sortant du travail, il aimerait autant rentrer directement à la maison, «à chaque fois que je vais voir Hedy, je sors de chez elle heureux et reconnaissant». Ces visites, explique-t-il, l’aident à ne pas se noyer dans un verre d’eau. «Et puis, je suis content d’avoir pu aider Hedy à traverser une période difficile et qu’elle aille mieux maintenant.» La vieille dame de 86 ans ne voit pas les choses autrement. Elle n’a plus peur de la solitude. «C’est vraiment sensationnel que nous nous entendions si bien avec Mario.»

Au moment où tous deux se disent au revoir, l’obscurité est presque complète dans le salon. Du dehors, la lumière des guirlandes se reflète dans la pièce. On y distingue sans peine les ours lumineux.

Ensemble contre la solitude

L’Engagement Migros fourmille d’idées pour que vous n’ayez pas à rester seul-e pendant les fêtes: vous pouvez ainsi participer à une Tavolata, former un «tandem» en vue de votre prochaine visite au musée ou encore vous rendre à un café récits pour vous entretenir de divers sujets.

Photos: Franca Pedrazzetti

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