En-tête

«On ne sait jamais ce qui nous attend»

Texte

Marlies Seifert

Paru

13.02.2023

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Marin-sauveteuse en Méditerranée, Claire Juchat sauve des gens de la noyade. Elle raconte pourquoi son travail est devenu plus difficile, et pourquoi elle continue malgré tout.

Aujourd’hui, elle part quelques jours faire une randonnée à ski et ainsi reprendre contact avec sa «vie normale» à terre. Cette Valaisanne est rentrée hier à Genève depuis le sud de l’Italie, après six semaines de mission à bord de l’Ocean Viking. Avec cet ancien navire marchand, l’association SOS Méditerranée réalise des opérations de sauvetage en mer Méditerranée.

Claire Juchat s’y trouvait pour la sixième fois «en rotation», comme on dit dans le jargon. «Bien sûr, c’est toujours de l’expérience en plus, et malgré tout on ne sait jamais ce qui nous attend», explique-t-elle. À chaque rotation, le contexte change. La situation politique, la météo, les conditions à bord: «Le métier de marin-sauveteuse exige beaucoup de flexibilité et d’adaptabilité.»

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Photo: Michael Bunel / SOS Méditerranée

Apprendre à vivre avec des parcours de vie difficiles

En reprenant la mer peu avant Noël, Claire Juchat ne se doutait pas que quelques jours plus tard, elle porterait assistance à 113 personnes au large des côtes libyennes, dont la plus jeune n’avait pas plus de deux semaines de vie. «Quand une mère embarque pour un voyage aussi périlleux avec un nouveau-né, cela dit tout de sa situation désespérée», déplore-t-elle.

«Ces destins auxquels on est confronté, on ne s’y habitue jamais. Mais on apprend à vivre avec.» En tant que responsable de la communication à bord, assurer le contact avec les rescapé-es fait partie de ses attributions essentielles. «Les informations données sur les rescapés ne sont généralement que des nombres qu’on entend ou qu’on lit. Mais derrière chaque chiffre, il y a un être humain avec une histoire.»

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Photo: Flavio Gasperini / SOS Mediterranée

1360 personnes mortes ou portées disparues

L’année dernière, plus de 98 700 réfugié-es sont arrivé-es par bateau en Italie. Parties d’Afrique du nord, la plupart de ces personnes avaient fait la traversée à bord d’une embarcation de fortune. Il arrive régulièrement que des gens se noient en tentant de rejoindre l’Union européenne par la mer. Selon les chiffres de l’Onu, plus de 1360 personnes auraient été déclarées mortes ou portées disparues en Méditerranée centrale en 2022. En hiver, la traversée est particulièrement risquée en raison des intempéries.

«Les conditions en mer sont rudes et les tempêtes ne sont pas rares», indique Claire Juchat. À cela s’ajoute un changement de politique du gouvernement italien qui est venu compliquer le travail des ONG: un décret est entré en vigueur début janvier, qui prévoit qu’après toute opération de sauvetage, les navires doivent mettre le cap sans délai vers le port qui leur a été assigné, avec les rescapé-es.

Un long voyage jusqu’au port assigné

«D’un côté, c’est une bonne chose que les personnes secourues n’aient plus à attendre des semaines à bord avant d’être autorisées à débarquer, indique Claire Juchat. Mais de l’autre, cela signifie aussi que nous devons quitter notre zone de recherche pendant des jours et que nous ne pouvons plus secourir personne pendant ce temps.»

Car les ports assignés à l’Ocean Viking ne sont pas situés dans le sud de l’Italie, à proximité de la zone où le navire croise, mais tout au nord du pays. Le voyage jusqu’à Ravenna dure ainsi cinq jours, et cinq jours de plus pour revenir à la zone d’intervention du navire.

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Photo: Michael Bunel / SOS Méditerranée

Sauvetage par mer agitée

À bord du navire, une sorte de routine est appliquée: réunion du matin à 8 h 15, repas du soir à 17 h 30, et, entre les deux, des exercices réguliers pour les 32 membres de l’équipage afin d’être prêt-es en cas d’urgence. La mer est surveillée 24 heures sur 24. «Nous avons des équipes médicales et de secours spéciales, mais tout le monde fait des veilles.»

Un matin à l’aube, un canot pneumatique surchargé est apparu à l’horizon. 37 personnes ont été secourues. Port assigné: Ancona, une fois encore dans le nord du pays. «Nous avons dû naviguer quatre jours par mauvais temps avec des personnes parfois très vulnérables. Membres de l’équipage et rescapés: personne n’a été épargné par le mal de mer, c’était un véritable cauchemar.» Les vagues atteignaient jusqu’à six mètres de haut.

Allers-retours entre le lac Léman et la Méditerranée

La rotation de Claire Juchat a pris fin en arrivant au port d’Ancona. Notre Suisse romande a maintenant six semaines de congés devant elle: la même durée qu’elle vient de passer en mer. «J’ai besoin de ce temps pour récupérer physiquement, mais aussi pour laisser tout ce que j’ai vécu derrière moi.»

Cela fait maintenant deux ans que Claire Juchat, diplômée dans l’aide au développement, fait les allers-retours entre lac Léman et la Méditerranée. «Mon travail est important, mais savoir apprécier la vie en Suisse l’est aussi.» Claire Juchat ne sait pas encore précisément quand elle reprendra du service. Elle sait seulement qu’elle emportera avec elle un bout de normalité: «Avant chaque rotation, j’achète du chocolat suisse pour tout l’équipage.»

Pourquoi les gens prennent-ils la mer pour fuir leur pays?

SOS Méditerranée organise notamment des ateliers dans les écoles afin de sensibiliser les jeunes dès 13 ans au sauvetage en mer et à la crise humanitaire qui sévit en Méditerranée.

Les personnes souhaitant soutenir activement ce projet peuvent postuler comme bénévoles à SOS Méditerranée ou s’inscrire à un atelier avec leur classe. Ces ateliers bénéficient du soutien du Pour-cent culturel Migros.

Photo/scène: Michael Bunel / SOS Méditerranée

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