Christina Agapakis, vous avez fabriqué du fromage à partir de bactéries provenant des pieds. Cela n’a pas l’air très appétissant.
(Rire). «Oui, ce fromage n’est pas destiné à être mangé. Il s’agit plutôt de nourriture pour le cerveau. Le projet a vu le jour en 2010 et à l’époque, il y avait encore beaucoup d’incompréhension vis-à-vis des micro-organismes. Les bactéries étaient davantage considérées comme une mauvaise chose, en particulier aux États-Unis.
Je suis alors tombée sur ce que l’on appelle les bactéries propioniques, présentes dans le fromage suisse et sur les pieds humains. Cela montre que nous sommes ce que nous mangeons. Mon ‘fromage de pied’ ouvre une discussion sur notre alimentation, notre corps et le rôle des bactéries dans notre vie.»
Qu’avez-vous mis en œuvre d’autre?
«Par exemple, dans le cadre d’un projet artistique, j’ai recréé le parfum d’une espèce disparue d’hibiscus originaire d’Hawaï.»
Journée des tendances au GDI
Christina Agapakis est directrice de la création chez Ginkgo Bioworks, un pionnier de la biologie de synthèse basé à Boston. Elle interviendra dans le cadre de la 19e Journée européenne des tendances au Gottlieb Duttweiler Institute (GDI) le 8 mars. Cette année, la conférence se concentrera sur le thème de la bioéconomie et sur la manière dont la compréhension de la nature et la relation avec celle-ci évoluent et où se trouvent les potentiels sociaux et entrepreneuriaux.
Comment procédez-vous?
«Nous traitons l’ADN comme un code que l’on peut programmer. Tout être vivant possède de l’ADN. C’est en quelque sorte le disque dur, sur lequel sont stockées toutes les informations héréditaires importantes. Nous recherchons des données spécifiques et les programmons. Pour ce projet, j’ai pris de l’ADN d’un hibiscus conservé, j’ai trouvé son parfum et je l’ai recréé.»
Donc vous faites du génie génétique...
«Oui. Cependant, la biologie de synthèse se fonde sur une approche différente des précédentes: nous combinons la biologie et l’ingénierie. Nous voulons ainsi développer des outils permettant de programmer des cellules et des bactéries, avec lesquels il sera plus facile de travailler.»
Quel rôle les bactéries programmées joueront-elles à l’avenir?
«Par exemple, elles peuvent être utilisées dans l’industrie de la parfumerie. En effet, dans ce domaine, nous avons besoin de plantes dont certaines sont menacées d’extinction. Des bactéries programmées peuvent remplacer durablement ces ingrédients et sauver ainsi des espèces végétales. Mais elles pourraient aussi un jour se substituer à tout ce que nous fabriquons à partir du pétrole.»
Et qu’est-ce qui est déjà possible aujourd’hui?
«En ce moment, nous travaillons sur les engrais. Des milliards de personnes peuvent être nourries grâce aux engrais azotés. Pourtant, la fabrication de ces derniers entraîne d’énormes dégâts environnementaux. Nous voulons programmer des bactéries qui produisent de l’azote directement dans le sol pour les plantes, sans aucune pollution.»
Mais les bactéries et les cellules programmées sont certainement aussi un sujet de discussion en médecine, n’est-ce pas?
«Oui, tout à fait. Les vaccins à ARNm, comme le vaccin contre le coronavirus, sont basés sur cette technique. Le vaccin est programmé pour se modifier dès que le virus mute. Il peut ainsi le combattre efficacement. Nous pourrions également programmer les globules blancs, qui constituent une grande partie de notre système immunitaire, afin de détruire de manière ciblée les cellules cancéreuses. Mais les bactéries programmées pourraient aussi aider à la production de médicaments, par exemple en cas de rupture de stock.»
Pourrait-on également programmer des bactéries pour qu’elles dévorent le plastique dans l’océan?
«Enfin, pas exactement. Nous pourrons sans doute un jour programmer des bactéries de manière à ce qu’elles mangent du plastique. Mais si on les laissait dans l’eau, elles mourraient tout simplement. Et si elles devaient survivre, elles ne se développeraient probablement que très lentement et ne seraient pas en mesure de concurrencer les bactéries sauvages.»
Je pense que la biologie est la chose la plus importante dans notre vie.
Christina Agapakis
Devons-nous craindre les bactéries tueuses mutantes issues de laboratoires?
«Non, la science n’est pas assez avancée pour cela. De plus, des mesures de sécurité strictes sont mises en place. Je dois dire que le plus grand risque avec les bactéries programmées, c’est qu’elles mutent pour revenir à leur état d’origine et ne fassent plus ce pour quoi nous les avons modifiées.»
Mais de telles bactéries pourraient servir d’armes biologiques...
«En théorie, oui. Mais la Convention sur les armes biologiques, reconnue au niveau international, interdit l’utilisation ainsi que le développement, la fabrication ou le stockage d’armes biologiques. Il est sans doute plus important de dire que les virus et les bactéries se développent d’eux-mêmes dans la nature et deviennent dangereux. C’est pourquoi il est important que la biotechnologie puisse également développer des outils permettant d’identifier les agents pathogènes dangereux et de réagir en cas de problème.
Comment?
«Par exemple, en analysant l’ADN des eaux usées, on est à même de détecter les nouvelles variantes de virus, de surveiller l’apparition de la grippe aviaire dans un élevage, mais aussi de garantir le développement et la production rapides de nouveaux vaccins et traitements.»
Malgré toutes ces possibilités, de nombreuses personnes sont critiques vis-à-vis du génie génétique.
«C’est la raison pour laquelle je veux créer de merveilleux produits qui apportent des avantages aux gens. Mais, à mon avis, il est très raisonnable d’être sceptique et de poser des questions afin de comprendre ce qu’un nouveau produit est censé offrir. Je vois le génie génétique comme un outil qui peut nous aider à relever les défis en matière de santé et d’environnement.»
La biologie deviendra-t-elle plus importante que la technologie à l’avenir?
«Tout dépend de ce que l’on entend par technique! Je pense que la biologie est la chose la plus importante dans notre vie: après tout, la biologie est notre vie. La manière dont nous développons cette discipline, cultivons nos aliments, interagissons avec notre environnement, traitons les maladies et fabriquons toutes sortes de produits, de matériaux et d’ingrédients, est déjà de la biologie.»
Photo/scène: © Brad Swonetz 2015/Redux/laif
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