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L’intégration par la menuiserie

Texte

Ariane Gigon

Paru

16.11.2023

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Grâce à Ama-K Bro, à Genève, des jeunes de 18 à 25 ans en rupture ont trouvé une occupation et une motivation en donnant une seconde vie à des meubles voués à la déchetterie. L’association vient de recevoir un coup de pouce financier, grâce au programme «ici.ensemble» d’Engagement Migros.

Ils sont les premiers à arriver et l’on remarque immédiatement qu’Amanuel, 23 ans, et Vini, 21 ans, n’en sont pas à leur coup d’essai avec le travail sur bois. Le premier arrache une couche de laque sur une  table demi-lune, tandis que le deuxième dessine le Spiderman avec lequel il prévoit de décorer un  guéridon.

Nous nous trouvons à Genève, dans le quartier Saint-Jean Charmilles, au Grand Atelier, une halle-entrepôt dédiée à l’économie circulaire. De nombreux espaces peuvent être loués pour réparer, recycler, construire ou créer. Après avoir dû quitter son précédent site, l’association Ama-K Bro est en  train d’apprivoiser le coin «bois».

Ama-K Bro? Ce nom ne doit rien au hasard: il signifie «un avenir  meilleur à travers une aventure kiffante, bro» (pour «brother»). Il a été trouvé par les jeunes eux-mêmes. Ayant entre 18 à 25 ans – ces jeunes filles et garçons n’ont souvent pas terminé leur formation ou sont arrivés en tant que réfugiés à Genève. Le projet est né peu à peu, d’abord chez Zina Ismail, aujourd’hui présidente du comité de l’association, et son mari Anis.

Les jeunes retrouvent une motivation et le plaisir d’avoir accompli quelque chose avec leurs mains

Zina Ismail, une des responsables de l’association

S’occupant, il y a quelques années, de déménagements et de débarras de maisons et d’appartements, il s’était rendu compte de l’énorme quantité de meubles voués à la déchetterie. Or, Zina, éducatrice spécialisée de formation, a «toujours aimé les meubles en bois, surtout ceux qui ont du caractère».

Elle commence alors à en récupérer certains et à les réparer, transformant son balcon en atelier, avant de trouver un endroit ad hoc et de proposer l’activité à des jeunes gens rencontrés dans le cadre de son travail. L’association, qui gère aussi une permanence intergénérationnelle pour jeunes enfants et seniors, voit le jour fin 2022.

Les premiers meubles «customisés » trouvent vite preneurs. «Lors du festival La ville est à vous, nous avons travaillé à l’extérieur, se souvient Luis, 20 ans. Une dame qui passait est revenue plus tard pour acheter la petite table que nous venions de réparer!»

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La petite table qu’ils retapent aura une seconde vie (Foto: Dom Smaz)

Créativité et écologie

«Les jeunes retrouvent une motivation et le plaisir d’avoir accompli avec leurs mains quelque chose qui, cerise sur le gâteau, leur rapporte de l’argent, confirme Zina. Beaucoup se débattent avec de multiples problèmes, des poursuites, des problèmes de logements, des crises avec la famille. Nous les accompagnons pour qu’ils puissent penser à leur avenir, donc à une formation.

Il faut de la patience, certains ont besoin de retrouver une constance et la confiance en eux.» Au fur et à mesure de l’après-midi, l’atelier s’est rempli. Galen, Fanta et Samsam sont arrivés. Samsam est cofondatrice de l’association, comme plusieurs autres jeunes, et elle siège au comité. «Il était clair pour nous que les jeunes avaient aussi un rôle à jouer, pas seulement comme bénéficiaires du projet.

Samsam est d’ailleurs un de nos piliers!», souligne Zina. Samsam confie «adorer» ce travail. «Nous avons la «vibe» («les bonnes vibrations»), un super groupe et les idées, dit-elle, sourire aux lèvres. De plus, nous faisons quelque chose d’utile, pour la bonne cause. Je ne vous cache pas qu’au début j’étais perplexe. L’écologie, je n’y avais pas trop pensé.»

Il y a vraiment eu un avant et un après Ama-K Bro. Aujourd’hui, nous voulons partager et montrer ce que nous faisons

Samsam, membre du comité de l’association

Car tout le projet repose sur des principes de durabilité. Les jeunes utilisent des vélos-cargos pour aller chercher les meubles puis pour les amener chez les personnes qui les achètent. Ils ont même suivi une formation pour les manoeuvrer correctement dans le trafic. Fabriquées à base d’algues bretonnes, les peintures utilisées sont aussi écologiques.

«Il y a vraiment eu un avant et un après Ama-K Bro, poursuit Samsam. On était à la rue, ne faisant rien, certains d’entre nous étaient dégoûtés du monde du travail. Peut-être que l’école nous avait trop chouchoutés? On ne sait pas vraiment. En tout cas, maintenant, nous voulons partager et montrer ce que nous faisons.» Luis vient d’arrêter un long travail de ponçage. «C’est assez méditatif pour moi, dit-il. Je suis dans ma bulle, ça me calme.»

Laiqshah, 23 ans, tient à son tour la ponceuse dans les mains. Arrivé d’Iran comme réfugié il y a un an, il s’exprime déjà bien en français. «J’avais déjà quelques notions de menuiserie de mon pays d’origine, mais j’apprends beaucoup de nouvelles choses», dit-il, les yeux brillants.

Foto: Marco Zanoni

Angela Zumbrunn, directrice de «ici.ensemble» (Photo: Marco Zanoni)

Quels sont les objectifs du programme «ici.ensemble»?

Les projets que nous soutenons permettent à des personnes de tous horizons, n’ayant ni la même langue ni la même culture, de se réunir autour d’activités et d’intérêts communs. Nous souhaitons que de très nombreuses personnes puissent participer activement à la vie culturelle, sociale et économique de notre pays, ce qui renforce la cohésion sociale.

Sur quels critères les projets sont-ils choisis?

Les projets doivent être mis en oeuvre principalement grâce à un engagement bénévole, c’est l’une des conditions les plus importantes. Il nous importe aussi que l’équipe du projet soit composée de personnes ayant des bagages différents. Les associations doivent avoir un esprit d’ouverture prononcé et être dénuées de motivations politiques ou religieuses. En outre, nous n’intervenons que si d’autres partenaires de financement ont aussi été sollicités.

Certains projets vous ont-ils particulièrement marquée?

Je pense encore souvent à une jeune femme du Proche-Orient dont nous avons soutenu le projet. Comme elle avait de la peine à trouver un emploi, elle avait, pendant des années, oeuvré comme bénévole dans de nombreux projets. En parallèle, elle avait suivi une formation dans le domaine de l’aide aux migrants. Nous avons été tellement impressionnés par son engagement et ses connaissances que nous lui avons proposé un poste de coach dans le programme «ici.ensemble». Depuis, elle s’occupe de l’accompagement spécialisé d’autres projets.

Musique d’avenir

Les prochaines étapes? Si le Grand Atelier est un magnifique endroit pour travailler, il reste un lieu  provisoire. Ama-K Bro espère trouver son propre atelier. Autre projet: ouvrir une boutique en ligne, avec  photos et descriptifs des meubles en vente. «La photo et la vidéo, les jeunes maîtrisent!», dit Zina.

Pour l’heure, les jeunes et les adultes sont véritablement reconnaissants d’avoir reçu un coup de pouce du  programme «ici.ensemble»: «Cela nous confirme que nous sommes sur la bonne voie, conclut Zina, et  cette aide nous permet d’avoir un toit pour les prochains mois!»

Photo/Scène: Dom Smaz

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