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Le lieu le plus secret de Suisse

Texte

Michael West

Paru

05.07.2021

Entrepôts Migrosmuseum für Gegenwartskunst, Cris Faria

Cris Faria travaille dans un dépôt d’art conçu pour résister aux incendies et aux tremblements de terre. Il s’occupe ici de la précieuse collection du Musée Migros. Même sa petite amie ne connaît pas l’adresse du dépôt.

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Cris Faria nous montre le dépôt d’art.

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Cris Faria nous montre le dépôt d’art.

Un homme en costume noir est assis, immobile, sur une vieille valise en cuir. On dirait un voyageur qui, attendant en vain son train depuis une éternité, a fini par se figer. En réalité, ce personnage n’est pas un être humain fait de chair et de sang, mais une sculpture de l’artiste autrichien Markus Schinwald.
L’œuvre, pour l’instant exposée nulle part, est conservée dans un vaste dépôt d’art. Ce voyageur immobile paraît d’ailleurs parfaitement à sa place dans ce lieu secret où le temps semble s’être arrêté. «Ici, nous faisons tout ce qui est humainement possible pour que les sculptures et les peintures restent exactement telles que les artistes les ont créées.» Cris Faria (45 ans) est ce qu’on appelle un «art handler». Ce professionnel sait exactement comment stocker des œuvres d’art de valeur ou comment les emballer avant leur transport de manière à éviter tout endommagement.

Une véritable forteresse
Le lieu de travail du spécialiste est situé dans un imposant bâtiment doté de murs épais et de portes blindées, conçu pour résister aux incendies et même à un tremblement de terre. Plusieurs musées suisses y ont entreposé leurs précieuses collections. Dans une grande salle sans fenêtres, Cris Faria s’occupe de quelque 1400 œuvres de 700 artistes acquises par la Fédération des coopératives Migros depuis les années 1950. Certaines ont pris beaucoup de valeur au fil des années et atteindraient aujourd’hui des sommes à six chiffres sur le marché de l’art.

Au sein de la salle, le climat est réglé avec précision: la température est toujours de 20 degrés, l’humidité de l’air de 50%. Le spécialiste vérifie de temps en temps la concentration en oxygène à l’aide d’un petit appareil de mesure. L’air y est aussi ténu qu’à 2000 mètres d’altitude. Le soir, lorsque les derniers collaborateurs quittent le bâtiment, le taux d’oxygène dans les halls et les couloirs est encore plus bas. Ainsi, un départ de feu ne pourrait s’alimenter et s’éteindrait immédiatement. L’oxygène est également réduit car il favorise la décomposition des matériaux délicats au fil du temps.

Ce ne sont pas des gardes lourdement armés qui protègent le bâtiment des voleurs d’œuvres d’art, mais essentiellement la confidentialité. Rares sont en effet les personnes qui savent quels trésors se cachent derrière sa discrète façade. «Je n’ai même pas donné l’adresse exacte à ma petite amie, déclare Cris Faria. Pourtant, elle est architecte, et elle serait sûrement très intéressée par l’ingénieuse construction du dépôt.»
L’expert parcourt l’entrepôt du Musée Migros baigné d’une lumière blanche provenant de tubes fluorescents. En donnant différents exemples, il explique que chaque œuvre d’art nécessite un stockage sur mesure: des tableaux de grand format sont accrochés à l’aide d’un imposant piètement, comme une œuvre impressionnante de l’artiste californien Matt Mullican. Sur un fond jaune vif, il a tracé le plan des rues de Paris; de loin, celui-ci se mue en un motif qui semble scintiller devant les yeux du visiteur. En jargon technique, cette grande structure porte le nom alambiqué de «station de déplacement pour tableaux».

Un âne dans une caisse
L’expert nous conduit ensuite vers une œuvre de l’artiste italien vedette Maurizio Cattelan: un âne empaillé portant sur son dos une vieille télévision à tube cathodique. Cette sculpture a suscité de nombreuses interprétations de la part des critiques d’art - certains la rapprochant de l’âne de Marie et Joseph dans la Bible et se demandant si la télévision pourrait représenter notre nouveau sauveur. «Cette œuvre est très connue, et nous la prêtons souvent à d’autres musées, indique Cris Faria. C’est pourquoi elle est déjà prête à être transportée.» L’âne et la télévision sont en effet emballés dans une énorme caisse, elle-même soigneusement rembourrée et sécurisée par des sangles. Une couche de matériau isolant protège la sculpture des variations de température pendant le transport. C’est pour cette raison que ce type d’emballage est également appelé «caisse climatisée».

Certaines œuvres individuelles sont cependant si délicates qu’elles souffrent même dans le climat parfaitement régulé de l’entrepôt et finissent par devoir être restaurées à un moment ou à un autre. C’est notamment le cas de «Hautraum», œuvre gigantesque entièrement réalisée en latex jaune brunâtre par l'artiste zurichoise Heidi Bucher. Elle ressemble à une pièce vivante dont les murs seraient en peau. «Le matériau s’est asséché avec le temps et menace de se craqueler, explique Cris Faria. Nous humidifions donc le latex avec de l’eau distillée et de l’alcool et le chauffons avec des lampes infrarouges.» La sculpture est ainsi prête pour voyager, puisqu’elle sera exposée à la «Maison des Arts» de Munich à l’automne.

Surfeur et artiste
Mais comment l’actuel «art handler» en est-il venu à exercer cette profession peu banale? Fils d’une responsable des ressources humaines et d’un dessinateur en bâtiment qui s’est ensuite reconverti dans l’agriculture, il grandit dans l’État brésilien de Bahia. Très tôt, Cris Faria fait lui-même preuve d’une ténacité très marquée, désireux d’aller toujours au fond des choses. Enfant, il démonte ainsi souvent ses jouets jusqu’aux plus petits éléments, pour les remonter ensuite. Jeune homme, il développe ensuite de nombreux talents, devient un surfeur passionné, suit une formation de professeur de yoga puis étudie l’art conceptuel à Genève. Il travaille ensuite pendant dix ans en tant qu’«art handler» indépendant pour des galeries suisses, dont la célèbre «Hauser & Wirth», qui possède des succursales à Zurich, Londres et New York. Puis, il y a trois ans, il est recruté par le Musée Migros pour ce poste dans le dépôt d’art secret.

«Il n’existe pas de formation officielle pour mon métier, explique Cris Faria. C’est quelque chose qui s’acquiert petit à petit, jour après jour.» Et c’est ainsi que l’«art handler» s’est perfectionné au fil des ans. Depuis, il a quasiment fait du stockage des œuvres une forme d’art à part entière.
 

Impressions du dépôt du musée

Tableaux dans l'entrepôt du Migrosmuseum
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Photo Cris Faria
L'art dans l'entrepôt du Migromuseum
Cris Faria
Cris Faria
Eine Besucher vertieft sich in die aktuelle Ausstellung des Migros-Museums für Gegenwartskunst

Migros Museum für Gegenwartskunst

L’exposition actuelle du Musée Migros d’art contemporain de Zurich présente de nombreuses œuvres de la collection: migrosmuseum.ch

Poto/Scène: Désirée Good

Vidéo: Shannon Zarmann / Daniel Grieser

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