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Vampires lesbiennes et superhéros gays

Texte

Ralf Kaminski

Paru

10.06.2022

Filmstill, Dyke Hard

Les personnages queer sont depuis longtemps totalement absents du cinéma ou représentés de manière négative. Toutefois, les choses commencent à bouger depuis quelques années. C’est ce que démontre la rétrospective «Scream Queer» du festival international du film fantastique de Neuchâtel.

Les séries télé sans personnages ou intrigues LGBTQ se font rares. Les membres de cette communauté ne sont plus cantonnés aux rôles secondaires mais sont au contraire déterminants pour l’histoire et suscitent la sympathie et la compréhension. Le scénario se concentre de plus en plus directement sur eux, comme dans la série Netflix «Young Royals» (depuis 2021), dans laquelle le prince héritier de Suède tombe amoureux d’un autre élève au sein de l’internat. Ou dans la série Disney+ «Love, Victor» (depuis 2020), dans laquelle un jeune latino découvre ses sentiments homosexuels. Ou encore dans la série «Orange is the new Black» (2013-2019), qui dépeint la vie et les relations au sein d’une prison pour femmes aux États-Unis.

En la matière, les films sont toujours plus timides, en particulier les gros blockbusters, qui sont contraints de faire le plein de spectateurs pour rentabiliser les coûts de production considérables. Et pourtant, les choses bougent aussi dans ce secteur. Dans «Les animaux fantastiques: les secrets de Dumbledore» (2022), qui raconte l’histoire avant «Harry Potter», la relation amoureuse des deux sorciers Albus Dumbledore et Gellert Grindelwald est mise en avant. Et dans le spectacle «Eternals» (2021) consacré aux super-héros Marvel, l’un des personnages principaux masculins était marié à un homme, avec qui il avait un fils.

Incursions dans des univers inexplorés

Le cinéma fantastique joue également un rôle de précurseur. Au cours des dernières années, plusieurs films d’horreur sont sortis avec des personnages queer parmi les rôles principaux. L’une des approches les plus originales est celle de «Freaky» (2020), film dans lequel un serial killer et une adolescente échangent leurs corps suite à un accident cosmique, ce qui sème une grande confusion. Et conduit à une scène dans laquelle le séduisant petit ami potentiel de la jeune fille explique qu’il a très envie de l’embrasser, ce qui se produit immédiatement, bien qu’elle soit toujours coincée dans le corps massif du serial killer.

«Freaky» (2020)

«Les films fantastiques permettent des incursions dans des univers inexplorés. Et «queer» signifie littéralement «étrange», c’est un terme qui désigne «l’autre», un autre mode de vie, une autre identité. Vu sous cet angle, ces deux notions font bon ménage», explique Pierre-Yves Walder (46 ans), directeur du festival international du film fantastique de Neuchâtel (NIFFF), qui débute le 1er juillet. Il présentera cette année près de 25 longs et courts métrages queer, dont le plus ancien date de 1922. La sélection proposée dans la catégorie «Scream Queer» est soutenue par le pour-cent culturel Migros.

«Lorsque j’ai postulé pour prendre la direction de ce festival, je rêvais déjà d’organiser une telle rétrospective», explique Pierre-Yves Walder. Les personnages queer ont toujours existé dans le cinéma fantastique, mais de manière subliminale ou diffamante depuis des décennies. «Cependant, les choses commencent à bouger et nous voulons montrer cette évolution.» Il aurait beaucoup aimé intégrer un film suisse dans cette sélection. «Mais nous n’en avons trouvé aucun qui convienne. Les films fantastiques sont malheureusement toujours rares dans notre pays.»

Le changement dans le traitement des thèmes et personnages queer a débuté il y a 20 ou 30 ans, progressivement et lentement, parallèlement à une acceptation croissante au sein de la société. «Cela a commencé avec des films underground, puis cela a gagné le cinéma d’auteur avant de toucher le cinéma mainstream.» Les années 1980 ont été une période charnière. «Les personnages queer étaient déjà présents, mais ils étaient cantonnés aux rôles de tueurs mauvais et déséquilibrés.» 

Le chef d’œuvre problématique d’Hitchcock

À titre d’exemple, il cite le chef d’œuvre d’Alfred Hitchcock «Psychose» (1960), que le festival projettera aussi. «Norman Bates est un personnage psychotique et probablement gay», affirme Pierre-Yves Walder. «Il réprime ses pulsions sexuelles et lorsqu’elles se font néanmoins ressentir, il résout le problème en tuant tout en portant les vêtements de sa mère décédée.» Aussi brillant et efficace soit-il, le film pose un problème du point de vue queer. «Je ne pense pas que cet aspect ait vraiment préoccupé Hitchcok, il l’a simplement exploité pour choquer, ce qui pour le coup est une réussite.»

«Psycho» (1960)

Pierre-Yves Walder trouve par ailleurs intéressant que l’interprète principal, Anthony Perkins, ait été lui-même gay ou tout du moins bisexuel, bien qu’il n’ait jamais fait officiellement de coming-out. «Mais Perkins a poursuivi l’histoire, en tant qu’acteur et en tant que réalisateur.» De plus, il existe un remake tourné par le réalisateur gay Gus van Sant, qui sera également projeté durant le festival.

Par ailleurs, Pierre-Yves Walder tenait à proposer une sélection aussi diversifiée que possible, avec des œuvres de différentes époques et de différents pays, connues ou rares. «L’objectif était de représenter le plus d’orientations sexuelles et d’identités de genre possible.» Il était particulièrement important pour lui de présenter des films de réalisatrices, dont «Orlando» (1992) de Sally Potter ou «Bound» (1996) de Lily et Lana Wachowski, toutes deux trans.

Une multitude de vampires queer

Le classique lesbien du film de vampires «Les Lèvres rouges»/«Daughters of Darkness» (1971) sera également présenté. Il met en scène une vampire s’attaquant à des jeunes femmes. Le queer est un thème traité depuis longtemps dans les films de vampires. Des romans de l’américaine Anne Rice («Entretien avec un vampire», 1976) à la nouvelle version de l’histoire de Dracula tournée par la BBC en 2020, dans laquelle le comte s’attaque à un jeune noble gay durant une traversée en bateau à destination de Londres, en passant par la série TV «True Blood» (2008-2014).

«Les Lèvres rouges» (1971)

Le fait que les séries télé soient aujourd’hui beaucoup plus ouvertes à la cause LGBTQ que le cinéma est essentiellement dû au fait que leur public est plus jeune, explique Pierre-Yves Walder. «Pour eux, cela va de soi, certains sont même en attente d’une telle diversité.» Par ailleurs, quelques producteurs TV gays, comme Ryan Murphy ou Greg Berlanti, ont mis à profit leur succès pour promouvoir ces histoires. «De plus, les séries offrent plus de temps, d’espace et donc de liberté pour développer les personnages et les intrigues de manière différenciée.»

Un progrès lent mais constant

Il en va de même pour les super-héros de BD. Au cours des dernières années, de plus en plus d’héroïnes et de héros queer ont fait leur apparition. À cela s’ajoutent des coming-outs notables de personnages bien établis, comme Iceman des «X-Men», le fils de superman Jonathan Kent ou encore Robin, l’acolyte de Batman. Tôt ou tard, cela se reflétera aussi dans l’univers du cinéma. «Cela s’y prête parfaitement», affirme Pierre-Yves Walder. «Les superhéros ont souvent deux identités, comme Bruce Wayne le jour et Batman la nuit.» Cette fluidité en matière d’identité convient parfaitement aux personnages queer. «Que l’on soit lesbienne, gay, bi ou trans, il faut tôt ou tard se révéler à son entourage.»

Selon Pierre-Yves Walder, les progrès dans le milieu du cinéma sont lents mais constants. Et il existe bien évidemment toujours un risque de recul. «Mais pour l’instant, les choses avancent. Et j’espère que ce n’est plus qu’une question de temps avant que le cinéma mainstream ne rejoigne les séries en la matière.»

Photo/scène: Dyke Hard, © Nicklas Dennermalm

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