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Quand Migros a réinventé la manière de faire ses courses

Texte

Anita Lehmann

Paru

19.10.2023

Illustration von Elsa Gasser

Il y a 75 ans, le premier magasin Migros en libre-service ouvrait ses portes dans la Seidengasse à Zurich – rien de comparable n’existait auparavant en Suisse. Derrière cette première se cachait une femme aux idées révolutionnaires: Elsa Gasser.

De nos jours, nous allons tout naturellement au supermarché, prenons en rayon ce dont nous avons besoin et payons à la caisse. Dans les années 1940, faire ses courses fonctionnait encore ainsi: si l’on avait besoin de farine, de sel ou de sucre, par exemple, on entrait dans un magasin d’alimentation et on faisait la queue pour être servi-e au comptoir. Le choix des produits était restreint et les autres client-es entendaient tout, notamment si l’on demandait un article moins cher.

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Photographie d’Elsa Gasser (photo: archives FCM)

L’idée est venue d’Amérique

L’économiste Elsa Gasser (1896-1967) trouvait que la manière traditionnelle de faire ses courses n’était pas très efficace, ni même conviviale. En revanche, le modèle américain du libre-service lui plaisait: un magasin avec un grand assortiment, dans lequel les client-es se déplaçaient librement, comparaient les produits et cherchaient sans gêne l’article le moins cher. Elsa Gasser était convaincue que la clientèle suisse apprécierait également un plus grand choix et une certaine forme d’anonymat dans le magasin. C’est elle qui a donné au fondateur de Migros, Gottlieb Duttweiler, l’impulsion décisive pour essayer le modèle du libre-service, malgré de nombreux doutes et objections.

Elsa Gasser est née et a grandi à Cracovie, dans l’actuelle Pologne. À l’époque, la ville faisait encore partie de l’Empire austro-hongrois. Dans son pays d’origine, les femmes n’avaient pas le droit d’étudier. C’est pourquoi elle s’est rendue en Suisse en 1913 pour faire des études d’économie et de droit à Zurich. En 1920, elle a obtenu son doctorat avec la plus haute mention.

Elsa Gasser-Pfau a ensuite été la première femme à travailler à l’Office de la statistique de Zurich. Elle écrivait aussi des articles économiques pour la «Neue Zürcher Zeitung». C’est par le biais de ce journal qu’elle a attiré l’attention de Gottlieb Duttweiler. Le capitaine d’industrie a été impressionné par les idées d’Elsa Gasser. Elle s’est à son tour intéressée au modèle commercial de Migros: une entreprise qui, au début, se rendait directement auprès de sa clientèle avec des magasins mobiles et s’est tout simplement mise à fabriquer elle-même de bonnes marchandises bon marché lorsque ses fournisseurs l’ont boycottée.

Une conseillère indispensable

G. Duttweiler et E. Gasser ont entamé une étroite collaboration. Devenue d’abord conseillère du fondateur de l’entreprise, E. Gasser écrivait régulièrement des articles pour le journal Migros «Construire». Plus tard, elle est devenue membre de l’administration de Migros, au sein de laquelle elle était la seule femme à l’époque. C’est parce que Gottlieb Duttweiler appréciait tant les propositions souvent peu conventionnelles d’Elsa Gasser qu’il l’appelait son «opposition salariée».

En 1948, elle l’a convaincu d’essayer le modèle du libre-service, malgré de nombreuses objections et craintes. On a pu lire dans la presse que les magasins en libre-service étaient le paradis des voleurs. Cette innovation était considérée comme «impropre à la Suisse» et l’on disait même qu’elle pouvait conduire la société à «perdre son âme».

La même année encore, le premier magasin en libre-service de Suisse ouvrait ses portes. La clientèle a pris d’assaut ce magasin Migros de la Seidengasse, à Zurich, et a généré des ventes record dès le premier jour. Le succès parlait de lui-même. En l’espace de dix ans seulement, Migros a converti 93 pour cent de tous ses magasins au libre-service. L’idée «impropre à la Suisse » d’Elsa Gasser est devenue le quotidien des achats helvétiques.

Un feu d’artifice d’idées

À plusieurs reprises, E. Gasser a donné des impulsions décisives dans l’histoire de Migros. C’est ainsi que la création d’Ex Libris, en 1947, est née de l’une de ses idées. La prochaine fois que vous vous promènerez dans un supermarché avec un panier de courses, pensez un instant à cette pionnière de Migros qui fourmillait d’idées. C’est elle qui a introduit cette manière de faire ses courses en Suisse. En 2020, la ville de Zurich lui a rendu hommage en donnant son nom à une rue: l’Elsastrasse.

Illustration/Stage: Mireille Lachausse, du livre «50 Migrationsgeschichten, die du kennen solltest», Bergli Books (histoires de migration en allemand ou en anglais)

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