Échouer pour mieux rebondir

Les idées innovantes connaissent rarement la réussite à la première tentative. Ni à la deuxième. Parfois même jamais. Comme les succès, les échecs ont de nombreux visages. Nous avons parlé des crises et des obstacles avec des pionnières et des pionniers impliqué-es dans deux projets. Et leur avons demandé pourquoi l’échec peut aussi conduire au succès.

Table ronde avec Franziska Burkhardt (responsable du service culturel de la ville de Berne), Silvia Hofer (directrice de PROGR Berne) et Regula Staub (ancienne directrice de Creative Hub) sur l’état et le potentiel de l’économie culturelle et créative (photo: Nicole Hametner)
De nombreux projets soutenus par le Fonds pionnier Migros sont des histoires couronnées de succès. Tous ne franchissent cependant pas l’étape de l’autonomie. Mais comment gérer la situation lorsqu’après des années de travail, de passion et de conviction, on se retrouve devant un (supposé) champ de ruines? Regula Staub a vécu cette expérience avec son projet Creative Hub. Soutenue par le Fonds pionnier Migros, cette plateforme de promotion aidait les créateurs suisses à commercialiser leurs produits et services depuis 2013. Après huit années intenses, l’aventure s’est achevée fin 2021. «Bien sûr, c’était un moment triste, confie Regula, d’autant plus que notre approche fonctionnait et s’améliorait au fil des ans. Les ˂créatives˃ et les ˂créatifs˃ ont apprécié notre offre et en ont profité.» Que s’est-il donc passé pour que le Creative Hub doive fermer ses portes?
Le début de la fin
Britta Friedrich, cheville ouvrière du projet du côté du Fonds pionnier Migros, a soutenu le Creative Hub jusqu’en 2019: «Comme pour beaucoup d’autres projets, assurer le financement ultérieur a été un défi pour le Creative Hub, explique-t-elle. Pour pouvoir relever ce défi, nous avons conjointement décidé d’affiner l’offre avant la fin de la période de soutien: au lieu d’une promotion à grande échelle selon le principe de l’arrosoir, on voulait désormais se concentrer sur l’accompagnement de créatrices et de créateurs sélectionné-es ainsi que sur le développement et la mise en œuvre de leurs projets dans le cadre de programmes complets de mentorat et de formation continue.» L’idée de mettre à avenir l’accent sur le design durable est née afin d’augmenter les chances de financement à long terme.

«Kick-Off Relaunch» des programmes de soutien du Creative Hub à la Design Biennale de Zurich, avec pitchs des nouvelles personnes soutenues. (photo: Daniel Frei)
Malgré les coûts supplémentaires engendrés par la relance, la situation semblait positive début 2020. Grâce à des tours de financement réussis, le Creative Hub disposait d’un bon «matelas» et était assuré pour l’année en cours. Pour maintenir le projet en vie de manière durable, il a toutefois fallu faire appel à d’autres moyens. Pour la collecte de fonds, l’idée, affinée entre-temps, clairement orientée vers le social, l’économie et l’écologie, semblait parfaite.
Comment chercher les partenaires approprié-es pour son projet? Le manuel «De 0 à 100» propose des stratégies pour maintenir l’offre en vie sur le long terme.

Événement de clôture du Creative Hub au Kornsilo de Zurich avec les pitches et la méritante équipe du projet gagnant KUORI. (photo: Florian Spring)
Une fin surprenante
«Nous étions très motivé-es et avons élaboré une base de décision pour l’assemblée générale. Nous ne manquions ni d’élan ni d’optimisme», explique Regula. Parallèlement à son plan, l’équipe avait échafaudé un scénario catastrophe, liquidation par étapes incluse. À sa grande surprise, le conseil d’administration a décidé de dissoudre le Creative Hub dans un délai de deux ans. Les chances de succès en termes de recherche de financement ont été jugées trop faibles. «C’était un coup dur – même si c’était bien sûr compréhensible avec la crise du coronavirus qui s’étendait, le confinement et les difficultés financières qui en découlaient et qui rendaient le fundraising encore plus compliqué. En plus, c’est à ce moment-là que la concurrence est venue impacter notre activité.»
«Sans perspective d’avenir, le travail n’était bien sûr plus aussi épanouissant – c’était d’autant plus agréable d’avoir à ses côtés une équipe qui a joué le jeu jusqu’au bout», poursuit Regula. Tout le personnel du bureau est resté jusqu’à l’épilogue, même si certain-es avaient envisagé de démissionner. Les fonds disponibles ont été versés aux projets soutenus à l’époque. L’offre a été maintenue et optimisée jusqu’à fin 2021.
Le manuel «De 0 à 100» propose quelques conseils et astuces pour apprendre de ses erreurs et de ses échecs. Vous le trouverez sur: ici.
Garder l’esprit pionnier
Alors que le Creative Hub a géré son «échec» avec succès, d’autres projets enregistrent des envolées qui portent en elles le risque de subir l’effet Icare. L’association Discuss it, qui encourage l’intérêt pour la politique et la participation des adolescent-es et des jeunes adultes, a été confrontée à ce défi.

Krista Kaufmann (à gauche) et Isabelle Ruckli du projet pionnier Discuss It. (Photo màd)
Le travail de l’association a connu un succès tel qu’il a été décidé en 2020 de l’étendre à toute la Suisse. Le Fonds pionnier Migros a reconnu le potentiel du projet et a pris le train en marche. Dans le cas de Discuss it, à l’instar de tout dimensionnement, il a fallu créer de nouvelles structures et professionnaliser les processus. Un défi à ne pas sous-estimer – notamment lorsqu’il s’agit de collaboration avec une association de bénévoles. Les bénévoles ont soudain eu l’impression que les exigences envers leur travail avaient augmenté. Les membres de l’association se sont mis-es sous pression, ce qui les a entre autres conduit-es à faire aux écoles des promesses qui n’étaient pas réalisables. «Il a fallu réagir rapidement», explique Isabelle Ruckli, cheffe de projet. «Parfois, les personnes bénévoles n’osaient pas dire qu’elles devaient d’abord clarifier des points à l’interne. Nous voulons leur enlever la peur de dire ouvertement lors d’un entretien avec l’école, ‹je ne sais pas, je vais clarifier la situation et vous recontacterai demain›.» Krista Kaufmann, cheffe de projet pour la Suisse romande, ajoute: «Malgré de nouvelles structures, peut-être plus solides, nous voulons et devons continuer à maintenir et à renforcer l’esprit pionnier, l’engagement et l’impulsion qui ont permis de créer et de faire avancer Discuss it.»
Krista a travaillé auparavant à l’Impact Hub de Genève et de Lausanne, où elle organisait des événements dans le style des Fuck Up Nights mis sur pieds au niveau international. Comme elle trouvait ce genre d’expérience incroyablement positive, elle a introduit le format dans Discuss it. «Nous sommes une association de 70 membres et voulons créer activement ce Safe Space afin de pouvoir apprendre ensemble et les uns des autres.»
Fuck Up Night
C’est pour cette raison que Krista et Isa ont organisé une sorte de «Fuck Up Night». Isa a présenté ce soir-là sa propre histoire de l’échec. Elle est responsable du programme de formation et de perfectionnement des bénévoles chez Discuss it. Un élément crucial pour le projet. Isa a élaboré un concept en adéquation avec l’important poste budgétaire. Pour toutefois réaliser plus tard que ça n’avait pas fonctionné parce que ce n’était pas ce dont les membres avaient besoin à ce stade. «Il a fallu beaucoup de courage pour s’avouer cet échec et communiquer aux donatrices et donateurs que nous avions mal planifié et que le plan du projet n’avait pas de sens sous cette forme.» Les participant-es à l’événement ont demandé où se trouvait le fuckup de l’histoire d’Isa. «Moi-même, je pensais avoir échoué. Mais dans sa propre tête, l’échec est bien souvent plus grand et pire qu’il ne l’est en réalité.»
Même si les histoires d’échec présentées à Discuss it ne sont peut-être pas des fuckups, mais plutôt des hiccups, fait remarquer Isa: «Il ne faut pas minimiser ces sentiments d’échec. Isa et Krista sont convaincues que l’on avance plus facilement dans la vie en évoquant les périodes difficiles et les incertitudes – justement comme contribution à une culture de l’erreur saine en Suisse. «Mais nous ne voulons pas faire de la thérapie, cela doit rester collégial», rit Krista. C’est pourquoi elle a créé un visuel ludique, mais très instructif en guise d’outcome de sa Fuck Up Night.

Le Visual Harvesting de la Fuck Up Night de Krista. (Visuel: Krista Kaufmann)
Lisez le Chapitre 3.2 du manuel «De 0 à 100». Vous y trouverez également de précieux conseils sur les signaux à écouter pour éviter un burnout ou une faillite personnelle.
Apprendre de l’échec
Discuss it se trouve actuellement au milieu de la période de soutien du Fonds pionnier Migros. Isa et Krista continueront d’organiser la Fuck Up Night et travailleront également au dimensionnement et à l’autonomisation de leur projet. «En tant que projet pionnier, nous souhaitons générer des outputs en touchant les jeunes et apprendre quelque chose que nous pourrons appliquer dans d’autres projets», explique Isa. «Car malheureusement, en cas d’échec, le savoir se perd trop souvent sans être transmis. Nous voulons changer cela.»

La rétrospective du Creative Hub est disponible sur le site internet www.creativehub.ch.
La page d’accueil du Creative Hub présente actuellement une rétrospective des huit années de travail pionnier dans la promotion de l’économie créative. Un texte rédigé par Regula Staub en collaboration avec son associé Jakob Blumer et Daniel Schaffro, le président de l’association.
«Le travail sur la rétrospective met un point final à notre projet. Nous avons ainsi également pu apporter quelque chose au vaste réseau que nous avions mis en place.» Par ailleurs, il a été libérateur de rassembler les faits et les chiffres, de préciser les principales étapes importantes, de se confronter une nouvelle fois aux défis. «Nous n’étions pas conscients de tout pendant le travail, parce que nous avions la tête dans le guidon. C’était bon de faire une analyse. Cela nous a aussi remplis de fierté.»
C’est avec des sentiments positifs que Regula revient sur son engagement et ses expériences au sein du Creative Hub. «Nous avons marqué la scène suisse de la promotion à long terme. Il est extrêmement réjouissant de constater que l’importance de l’économie créative est tout autre aujourd’hui qu’il y a huit ans.» Il existe désormais des incubateurs dans les hautes écoles. En tant qu’alumni, il est possible d’y suivre une formation dans le domaine des connaissances économiques de base et de l’entrepreneuriat. Le soutien aux start-up et aux personnes créatives s’est également considérablement amélioré. Le Creative Hub est, si l’on peut dire, devenu superflu – et sa fermeture peut donc être considérée comme un succès.
Photo/scène: Unsplash